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Dans Poèmes

Saisons

Le 19/10/2019

Saisons

 

 

A l’image du loup errant,

l’œil aux aguets, la truffe à l’air,

j’obtins le sacre du printemps

sans meute et loin de ma tanière.

 

A l’image du chat aimé,

j’ai ronronné sous la caresse

au chaud soleil, au doux été,

sur les genoux de ma maîtresse.

 

A l’image du sanglier

dont déjà quelques soies grisonnent,

j’aime le calme des fourrés

semés des feuilles de l’automne.

 

A l’image du noir corbeau

sur la grille du cimetière,

je courberai bientôt le dos,

espérant que passe l’hiver.

 

M.B.
Dans Romans

Début de "L'envol de la chauve-souris albinos"

Le 14/10/2019

Prologue
Jeff, octobre 2017
La circulation est fluide depuis Toulouse. Je roule vers
l’ouest mais le soleil est couché, c’est mieux. C’est que je
n’aime pas l’avoir dans les yeux quand je conduis. La route est
sèche. Je suis un peu fatigué mais je suis vigilant, attentif. Ça
va. Et je suis bien content d’être débarrassé de ce chauffeur !
Et d’avoir récupéré ma voiture à Boussens.
Cinq cents kilomètres du Vercors jusqu’à Boussens dans
la voiture de ce type. L’individu précisait sur BlaBlaCar :
« J’aime bien discuter », c’est ce que je recherchais.
L’autoroute c’est monotone et, vu les circonstances, je
préférais avoir de la compagnie, éviter de trop réfléchir.
Je ne peux pas lui reprocher grand-chose en fait, à ce
conducteur. Après les présentations d’usage, il a orienté
la discussion vers la religion. Je me suis dit : « Encore un
prédicateur, un illuminé. » Pas du tout. Et il a soulevé
des questions auxquelles je n’avais même pas envisagé de
penser. C’est curieux, il m’en reste un goût… amer. Qui
sommes-nous, que sommes-nous ? Tous ces baratins que
nous ont servis et nous servent encore les religieux, quelle
est leur valeur face à la réalité du monde ? Si on est tué par
accident, ou à la guerre, peut-on plus tard rencontrer son
meurtrier au paradis ? Aussi, comme je suis veuf et que je
me suis remarié, comment ça va se passer dans ce paradis
que certains promettent ? On y tolère la bigamie ? D’autant
plus que pour compliquer l’affaire je me suis mis dans de
beaux draps dernièrement, presque littéralement. J’aurais dû
résister. Mais je sais maintenant que je n’ai pas cette force.
La vie est livrée sans mode d’emploi. C’est pour ça qu’on
cherche à en construire, des modes d’emploi.
Tiens, un camion avec un logo Igoa y Patxi ! De Navarre
en plus. Je double. Patxi… comme Patxi, notre ex-etarra en
visite…
Oui, des modes d’emploi, des interdits, des règles. Et

Dans Romans

Début de "Quand passent les chocards"

Le 14/10/2019

Alejandro
Mai 2016 : un nouveau départ ?
Dans trois heures je vais atterrir à l’aéroport de
Maiquetía, dans un pays exsangue, en proie à l’instabilité
politique, aux pénuries, à la violence. Ce pays, c’est le
pays où je suis né ; par hasard, par chance, par la force des
choses… Je ne sais pas dans quelle catégorie ranger les
raisons de ma naissance sur ce sol d’Amérique du Sud. Mes
parents étaient Français, ils ne sont plus de ce monde mais
mon père avait des origines basques et m’a laissé son nom :
Etchegarray. Ça veut dire « maison d’en haut ». Je trouve
que ça sonne bien en basque. Du côté de ma mère, c’est
Bordes, et ce nom vient du Béarn, il y a même un village
qui s’appelle ainsi. Les bordes désignent des bergeries, des
petites fermes dans cette région. Voilà, j’ai des noms de
maisons, ancrées dans les terres du Sud-Ouest. Et c’est là
que j’ai passé la fin de mon adolescence et ma vie d’adulte.
J’ai vingt-huit ans.
Mon prénom, c’est Alejandro. Là, ça sonne exotique.
On pourrait penser à une origine ibérique, née des terres
chaudes qui s’étendent de l’autre côté des Pyrénées. Mais
cette origine est plus indirecte, elle a voyagé en caravelle,
avec des conquistadors et des chevaux, des missionnaires,
des plants de canne à sucre, des migrants. Ce prénom, on
me l’a donné car je suis né à Caracas, au Venezuela, et que
ce pays est hispanophone : on y parle le castillan avec un
accent proche de l’andalou ou du canarien. Quand on
naît sur le sol du Venezuela, et plus généralement sur celui
du Nouveau Monde, on reçoit la nationalité du pays, en
plus de celle de nos parents. Je suis Français, Vénézuélien,
Basque, Béarnais. J’ai vécu la plus grande partie de mon
enfance dans les beaux quartiers de Caracas et fréquenté
l’École française jusqu’au collège. J’y ai connu une enfance
choyée, dans une ville située à 900 mètres d’altitude et sous
les tropiques, ce qui fait que la température y est idéale toute
l’année. Nous vivions sans climatisation et sans chauffage.

Dans Romans

Crise de la quarantaine, ou l'agenda de Marion (extrait)

Le 07/11/2016

Mercredi 9 septembre 2015, Michel

 

Thierry est un ami de longue date, avec lequel j’ai fait mes études d’ingénieur.

Thierry vient d’avoir cinquante ans. Ses cheveux très bruns, hérités de son origine espagnole, commencent à blanchir. Mais ses yeux sombres ont gardé leur éclat de jais. Sa femme – Véronique – encore désirable, montre tout de même les premiers signes de l’hiver qui s’annonce. Leurs deux aînés sont partis vivre leurs vies, leurs deux cadets ont encore quelques années d’étude devant eux, comme les miens.

Nous avons fait carrière dans la même entreprise, spécialisée en travaux souterrains. Nos affectations furent en général dans des lieux séparés, en France ou à l’étranger, mais nous avons aussi partagé quelques années aux mêmes endroits. Voici deux ans que nous sommes tous deux de retour à la maison mère et prévoyons d’y passer plusieurs années pour permettre à nos enfants respectifs de poursuivre leurs études plus sereinement. Nos épouses sont amies, ainsi que nos enfants, et nous partageons tous ensemble un dîner ou une randonnée de temps en temps.

Thierry est plutôt exubérant, surtout comparé à moi. Il hésite peu à montrer ses états d’âme alors que je conserve une nature discrète et que je cultive assez souvent le secret.

Malgré son passage dans la catégorie des quinquagénaires, il me montre les signes annonciateurs de la crise de la quarantaine. Il m’assure qu’il n’était pas prêt à élever ses quatre enfants quand ils sont arrivés dans sa vie. Selon lui, le temps a passé très vite à gérer le quotidien et c’est maintenant qu’il est mieux établi dans sa vie sociale et professionnelle qu’il aimerait fonder famille et s’occuper pleinement d’une progéniture. Il est clair pour lui que cette nouvelle ère serait accompagnée de la présence d’une femme jeune.

La corpulence de cet ami n’est plus très avantageuse mais son esprit et sa fortune lui donnent tout de même de sérieux moyens de séduction.

Un autre de ses fantasmes serait d’avoir engendré dans sa jeunesse des enfants dont il ignorerait l’existence et qui un jour viendraient sonner à sa porte pour se faire reconnaître.

Pour moi, cela présente tous les signes de la crise existentielle du quadragénaire. Il aimerait recommencer sa vie d’adulte, au lieu de se diriger lentement vers la vieillesse et les petits-enfants.

Il est vrai que notre travail intellectuel et nos moyens économiques peuvent nous le permettre : nous ne sommes pas encore usés physiquement, bien que le stress que l’on subit quotidiennement puisse aussi être une source d’épuisement prématuré.

Thierry a deux ans de plus que moi. J’ai sauté une classe en primaire et lui a redoublé son année de Mathématiques Spéciales, ce qui nous a permis de nous rencontrer lors de notre entrée en école d’ingénieur il y a vingt-neuf ans – en septembre 1986 – de faire un bout de chemin ensemble et ainsi de nous apprécier.

Lors de cette première année d’école, nous avons effectué notre stage ouvrier dans la même usine, sur une chaîne de montage, ce qui a renforcé les liens que nous avions noués au cours des premiers mois d’études. Nous étions préalablement devenus fanas de spéléologie et, venant du nord-ouest et nord-est de la France, avions découvert avec émerveillement la végétation et le climat méditerranéens lors de nos week-ends dans les massifs calcaires ardéchois. Pour le stage, nous avions initialement échoué dans nos démarches : nous espérions le faire près de Vallon-Pont-d’Arc, dans une usine de crème de marron ou autre conserverie ardéchoise mais le choix était limité et ces sociétés n’étaient pas intéressées – du moins pas pour les dates fixées. Mon père nous avait d’une certaine façon sauvé la mise en parlant à une de ses connaissances : une chaîne de montage ardennaise de cuisinières bois-charbon nous accueillerait pour nos quatre semaines de mise en situation dans la position d’ouvrier. Thierry allait dormir chez nous. Il avait une Peugeot 104 et s’occuperait de nous transporter tous deux à l’usine, située à moins de dix kilomètres de la maison. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans les Ardennes en février 1987, devant le chef d’atelier qui nous a conduits sur nos chaînes respectives après un tour sommaire de l’entreprise : j’allais monter quatre-vingt-seize portes de poêle par jour pendant que Thierry allait poser et visser des couvercles de cuisinière sur une autre chaîne.

Le midi nous avions convenu de ne pas manger ensemble, de façon à nous immerger dans le monde ouvrier. Nous déposions nos gamelles le matin et les récupérions réchauffées au bain-marie pour la pause du déjeuner dans la petite salle des repas. Après avoir pris des couverts, un verre et une assiette, nous nous mettions à table. Le pain et l’eau étaient fournis. Le café aussi mais je n’en buvais pas à l’époque. Rien d’exceptionnel au lieu, rien de romantique. Cependant c’est là que j’ai rencontré Christine.

J’avais laissé mes camarades de chaîne s’asseoir en premier, car beaucoup avaient leurs habitudes et j’étais soucieux de ne pas les déranger. Je me suis assis à côté d’eux, sans personne en face de moi. C’est alors que je l’ai vue dans l’embrasure de la porte. Je me suis bêtement dit qu’elle était « pas mal », qu’elle devait venir de la comptabilité. Mais non : elle était, elle aussi, en bleu de travail. Elle resserrait sa tresse blonde en penchant la tête sur le côté. Puis elle s’en alla chercher un plateau et des couverts près de l’entrée.

Mes voisins avaient déjà attaqué leur repas : patates bouillies et viandes ou omelette, pâtes… du classique, roboratif. Ma mère nous avait préparé, à Thierry et moi, le même genre de plat. Je m’apprêtais à entamer mon déjeuner quand j’ai remarqué une silhouette qui me faisait face : la blonde était debout devant moi et me demandait si j’attendais quelqu’un. J’ai bredouillé un « non », surpris et un peu froid, comme pour lui faire croire que j’aurais préféré avoir une chaise vide en face de moi plutôt qu’elle. J’étais tétanisé. Elle m’a paru gênée, comme si elle regrettait déjà de s’être installée là. Prenant conscience de ma maladresse, j’ai essayé de redresser la barre en me présentant et en expliquant que je venais d’arriver sur la chaîne.

Je suis encore bouleversé quand je me remémore cet instant : un léger sourire est apparu sur son visage, l’illuminant, et son regard était doucement posé sur moi. J’ai toujours été fasciné par les femmes en tenues masculines – il faudrait peut-être un jour que je me fasse psychanalyser – en tenues inadaptées à leur morphologie mais qui paradoxalement les mettent en valeur : une chemise droite qui fait ressortir leur poitrine au lieu de l’épouser, une couleur unie et délavée qui fait éclater le teint de leur peau et la couleur de leurs yeux. Elle était en salopette bleue délavée, sa tresse blonde – plus précisément châtain clair – pesait sur son épaule gauche et ses yeux bleus me dévisageaient.

« Christine Rossi, fit-elle en me tendant la main. Moi, ça fait cinq ans que je travaille ici. Note, je ne compte pas y rester. »

En fait, la plupart des ouvriers « ne comptaient pas y rester ». Mais beaucoup étaient là depuis dix ans, vingt ans, voire trente-et-un ans pour une des femmes de la chaîne qui s’occupait de la visserie.

Dans Poèmes

Ton bras nu

Le 07/11/2016

Brassé par tes cheveux, le dernier alizé

embaumé de parfums lentement se dissout.

Ton bras nu sous ma main m’enivre, me rend saoul

de ta peau qui enfin s’est remise à bronzer.

 

Niché à tes côtés, nous flânons en silence.

Autour de nous les gens, les rues achalandées

de ce quartier fiévreux qu’est Sabana Grande.

Au milieu des badauds, nos deux corps se balancent.

 

Ici tu m’as manqué, ma brune au corps gracieux.

Ah ! Dis-moi des « je t’aime », embrasse-moi soudain,

glisse donc ton bras nu tout autour de mes reins !

 

Je veux revoir les feux qui brillaient dans tes yeux

lorsque tu me disais du haut de ta jeunesse

la plus tendre et la plus passionnée des promesses.

Dans Poèmes

Les monts du Panshir

Le 07/11/2016

Comme un lambeau d’étoffe, un rêve se déchire

et tombe, ensanglanté, sur les monts du Panshir.

Les plaisirs, enterrés par ces maîtres honnis,

ne renaîtront qu’au bout de sombres décennies.

 

Ces cités de lumière à moitié écroulées,

ces terres d’Orient qu’Alexandre a foulées,

sous les jougs féodaux geignent de servitude,

exhalant les malheurs des folles multitudes.

 

N’eussent-elles pas connu intolérance et guerre,

sur leurs portes de bois j’aurais posé ma main,

un peu de thé amer aurait calmé ma faim.

 

Ton sourire gercé par le vent du désert

aurait été plus doux que les fleurs du jasmin.

J’aurais baisé tes yeux tout couverts de poussière.

Dans Poèmes

Le 7 janvier 2015

Le 14/08/2016

Dans le jardin public, un mercredi d’hiver

Sous le ciel de midi sortaient quelques abeilles,

Carabes, papillons et insectes divers,

Nimbés par la clarté de la chaleur vermeille.

 

Des fleurs s’épanouissaient sur le frais gazon vert

Et chacun butinait dans l’offerte corbeille,

Estomacs affamés sur le buffet ouvert,

Vagabonds assoiffés autour d’une bouteille.

 

La scène colorée nous rendait indolents

Et nos esprits joyeux tombèrent de surprise

Quand l’ombre s’avança, étrange brute en crise,

Piétina le parterre, arracha en hurlant

Les ailes chamarrées des papillons si lestes,

Invoquant sur nos vies les affres de la peste.

 

Ni l’indécente joie de frustrés d’autres temps,

Ni les serviles mots de bourreaux qui s’enchaînent,      

N’auront raison des cœurs et des voix que j’entends.

Nous ne ramperons pas sous leur carcan de haine.

 

 

M.B. 01/2015