Début de "Quand passent les chocards"

Michel Brome-Tonne Par Le 14/10/2019

Dans Romans

Alejandro
Mai 2016 : un nouveau départ ?
Dans trois heures je vais atterrir à l’aéroport de
Maiquetía, dans un pays exsangue, en proie à l’instabilité
politique, aux pénuries, à la violence. Ce pays, c’est le
pays où je suis né ; par hasard, par chance, par la force des
choses… Je ne sais pas dans quelle catégorie ranger les
raisons de ma naissance sur ce sol d’Amérique du Sud. Mes
parents étaient Français, ils ne sont plus de ce monde mais
mon père avait des origines basques et m’a laissé son nom :
Etchegarray. Ça veut dire « maison d’en haut ». Je trouve
que ça sonne bien en basque. Du côté de ma mère, c’est
Bordes, et ce nom vient du Béarn, il y a même un village
qui s’appelle ainsi. Les bordes désignent des bergeries, des
petites fermes dans cette région. Voilà, j’ai des noms de
maisons, ancrées dans les terres du Sud-Ouest. Et c’est là
que j’ai passé la fin de mon adolescence et ma vie d’adulte.
J’ai vingt-huit ans.
Mon prénom, c’est Alejandro. Là, ça sonne exotique.
On pourrait penser à une origine ibérique, née des terres
chaudes qui s’étendent de l’autre côté des Pyrénées. Mais
cette origine est plus indirecte, elle a voyagé en caravelle,
avec des conquistadors et des chevaux, des missionnaires,
des plants de canne à sucre, des migrants. Ce prénom, on
me l’a donné car je suis né à Caracas, au Venezuela, et que
ce pays est hispanophone : on y parle le castillan avec un
accent proche de l’andalou ou du canarien. Quand on
naît sur le sol du Venezuela, et plus généralement sur celui
du Nouveau Monde, on reçoit la nationalité du pays, en
plus de celle de nos parents. Je suis Français, Vénézuélien,
Basque, Béarnais. J’ai vécu la plus grande partie de mon
enfance dans les beaux quartiers de Caracas et fréquenté
l’École française jusqu’au collège. J’y ai connu une enfance
choyée, dans une ville située à 900 mètres d’altitude et sous
les tropiques, ce qui fait que la température y est idéale toute
l’année. Nous vivions sans climatisation et sans chauffage.